Il y a quelques semaines je découvrais Focale Alternative, une belle et ambitieuse revue photographique diffusée en ligne depuis le début de cette année 2010. Le numéro 8 venant à peine de sortir, c’était donc l’occasion de demander à Philippe Reale, son créateur, de revenir sur la genèse de ce projet et de nous donner quelques pistes autour de sa passion pour la photographie. C’est avec générosité qu’il se plie à l’exercice (crédit photos : Focale Alternative – Philippe R.).
Avant d’évoquer Focale Alternative, pourrais-tu nous dire qui tu es et d’où te vient ce goût pour l’image et la photographie en particulier ?
Je m’appelle Philippe et j’habite en Belgique. La genèse de cette passion remonte à mon enfance. Je suis un enfant qui a été baigné dans la culture de l’image et de l’audiovisuel. Je fais partie de cette génération transitoire qui a connu la venue de la propagation de l’image pour en devenir cette saturation que nous connaissons à l’heure actuelle.
Mon père était un photographe amateur qui investissait beaucoup de temps dans sa passion. J’ai donc goûté à son fruit créatif de manière assez instinctive dans le cadre familial.
Tout comme un bon fruit naturel, je pense que cette passion photographique a longtemps mûri en moi pour se révéler à la naissance de ma fille. La photographie est passée par ce stade de mûrissement et a donné naissance à ce fruit qui m’habite depuis presque deux ans.
Nous vivons une époque formidable où chacun peut s’essayer à la photographie sans se ruiner mais c’est l’achat de mon propre reflex qui a littéralement changé ma vie et ma vision l’image.
De quelle envie est née votre magazine ?
Focale Alternative Magazine est né de deux envies très précises : partager les photographes que je découvre et que j’aime. Ensuite, comprendre leur manière d’aborder la photographie. Il est très enrichissant de parler avec quelqu’un de sa réelle conception photographique.
L’aspect technique est un point mais essayer de partager les projets qui habitent un photographe en est un autre. La collaboration apporte beaucoup au photographe que je suis. Comprendre et partager une véritable démarche artistique va plus loin que de prendre simplement une photo.
A l’heure où chacun a l’opportunité de s’exprimer par l’image, il me paraît essentiel d’aller à la rencontre de l’autre.
Je suis quelqu’un qui a besoin de s’exprimer de différentes manières. Depuis mon enfance, j’écris beaucoup pour évacuer ce que je ressens. Avec le temps, cela s’est mué en d’autres manières telles que la photographie, un blog ou un magazine plus récemment.
Nous sommes dans une époque où les technologies sont à la portée de tout le monde. Le monopole se termine doucement et les grandes industries de la presse ne sont plus les dictats ou les califes du système. C’est une opportunité qu’il faut saisir. Étant un grand consommateur d’écrits et de podcasts, je n’avais pas encore trouvé une revue qui prenne le temps d’écouter les photographes sur ce qu’ils font, pensent et photographient réellement. Il y a beaucoup de magazines mais combien prennent le temps de se poser sur la réelle démarche de chacun ?
J’aime assez ce côté artisan de la « presse » et puis je réalise enfin quelque chose qui m’épanouit au quotidien grâce à tous ces photographes méconnus ou connus qui ont pris de leur temps pour participer à ce projet amateur et bénévole qu’est Focale Alternative Magazine.
Quel en est le concept ?
L’objectif visé est avant tout la promotion de la démarche artistique du photographe interviewé. Cela pose la question implicite : qu’est-ce qu’un photographe dans cette époque saturée d’images ?
Avant de me lancer dans la photographie, était photographe celui qui faisait de belles images.
A l’heure actuelle, les interactions de Focale Alternative Magazine m’ont permis d’aller plus loin dans cette conception que je trouve erronée maintenant. Cette ère du paraître que nous subissons oublie de rendre la place à une image belle et cohérente dans une série qu’il est tout autant. Pour moi un photographe est une personne qui fait parler ses photographies entre elles.
La force de notre époque « multimédiatisée » est de permettre à tout le monde de s’exprimer. Les magazines mettent en avant les quelques rares sortis de la masse mais où sont tous les autres ? Où est la place de tous ces passionnés talentueux qui consacrent leur vie à la photographie sans jamais être mis en avant ? Où est la place de tous ces photographes qui n’ont pas eu la chance d’être pris sous les ailes d’un « bookmaker en art » mais qui ont un véritable don ?
Le véritable concept sous-jacent à tout cela est que je me fais plaisir tout simplement. S’épanouir au contact d’autrui me semble essentiel. J’essaie de ne pas tomber dans le travers de me renfermer sur moi-même. Internet favorise cet égocentrisme et j’essaie du mieux que je peux de continuer à travailler avec les autres pour me rappeler au quotidien que j’apprends la photographie tous les jours grâce à ces échanges.
François Régis-Durand est un exemple que j’aime utiliser. C’est un photographe talentueux qui a eu la chance d’être découvert lors d’un concours photos SFR Jeunes Talents. En plus d’être photographiquement percutant, son travail sur Madagascar a un cachet supplémentaire aux yeux des amateurs de photographie car il expose à Paris et Arles.
Maintenant, revenons en arrière deux minutes. Imaginons que François Régis-Durand ne soit pas sélectionné par le jury de SFR Jeunes Talents pour son travail sur Madagascar. Imaginons que le jury ait été composé d’autres personnalités. François serait resté un passionné parmi beaucoup d’autres mais cela remet-il en cause son talent photographique ? Est-ce que ses photographies auraient été moins bien réalisées pour autant ? Cet exemple donne un réel sens au projet de Focale Alternative Magazine. Mon objectif est de partager les photographes que j’aime, qui me percutent, qu’ils soient connus ou méconnus.
Être un photographe inconnu signifie-t-il que vous n’avez pas de talent ? A l’heure actuelle, être un photographe reconnu signifie-t-il que votre talent photographique est irréprochable ?
Je ne suis pas un très bon critique d’art. Je n’ai pas le talent pour cela. Focale Alternative Magazine est avant tout un projet humain qui a les forces et les faiblesses d’un projet porté par un passionné de photographie. Après, j’espère que le magazine plaît aux personnes qui le lisent. J’espère que tout comme moi, les lecteurs découvrent les démarches artistiques des photographes présentés avec autant de plaisir que j’en prends.
Avez-vous eu des difficultés pour mettre en route votre projet ?
Je ne dirais pas de grosses difficultés en particulier. Avant d’entamer la rédaction du magazine, je n’avais aucun bagage sur la conception d’une maquette ou l’utilisation d’un logiciel bien défini.
Comme nous vivons dans une époque où tout est à portée de main, j’ai fait des recherches sur Internet, consulté des forums, regardé des tutoriaux, etc. Après c’est une question de volonté, mais cela n’est pas bien chinois.
La contrainte la plus difficile est celle du temps. Cela demande beaucoup de temps en terme de recherche, de lecture, de communication, de rédaction et de partage, surtout que le magazine est pour le moment le fruit de mon seul travail. Bref beaucoup d’organisation, de sérieux et de plaisir sont les fruits de la réalisation de Focale Alternative Magazine.
J’imagine que la réalisation de la revue a un coût. Comment la financez-vous ?
Le magazine ne coûte rien. Le coût se situe au niveau de l’hébergement du site. Après, c’est le temps et la régularité qui coûtent le plus je dirais.
Comment se passe la conception de chaque numéro et le choix du sommaire ?
La conception est d’abord de l’ordre de la prise de contact et du sérieux de la demande. Dans 90% des cas, je respecte les délais que j’ai proposés aux photographes et du programme que nous nous sommes fixés. Bien que bénévole, je veux absolument que ce projet soit réalisé de manière sérieuse. Le contrat est clair entre le photographe et moi-même lors de notre prise de contact.
Pour le choix du sommaire, je fonctionne au coup de cœur, au feeling, aux découvertes ou aux mails que je reçois. Je consulte chaque proposition avec sérieux et prend énormément de temps à communiquer avec ceux qui prennent contact avec moi.
Il n’y a pas de recettes miracles si ce n’est régularité, sérieux et plaisir.
L’édition numéro 3 est consacrée au patrimoine industriel belge. Était-ce une façon de te replonger dans le décor de ton enfance ?
Ce numéro est spécial. A l’époque, je faisais ce que l’on appelle de l’exploration urbaine. De fil en aiguille, j’ai rencontré ces quatre photographes qui allaient plus loin que la simple exploration. Ils réalisaient un véritable reportage sur l’essor industriel, économique, social et historique sur les Forges de Clabecq. C’était un haut lieu du patrimoine industriel de Belgique. Encore une fois, le magazine a servi à mettre en avant un projet photographique et audiovisuel de passionnés de l’image.
Ce magazine représente bien la philosophie que j’essaie de poursuivre au fil des numéros. Aucun de ces photographes n’a été rémunéré pour ce reportage qui s’est étendu sur de nombreux mois. Peu de reconnaissance au niveau national, si ce n’est par les passionnés du milieu, mais ils ont réalisé un projet concret et cohérent visuellement.
Il aurait été regrettable que je passe à côté de ce projet photographique et patrimonial en me disant que puisqu’ils n’étaient pas connus, cela n’en valait pas la peine. C’est une erreur que je ne veux pas commettre. Je pars du principe que le passionné investit de son temps, de son énergie, de son amour et de son argent dans son projet ou sa série photographique. N’est-ce pas la main de la passion qui nous permet de grandir au quotidien finalement ? J’espère de tout cœur que leur projet sera mis en avant dans les mois à venir via certaines plateformes bruxelloises.
Quelle est la raison de la présence récurrente de la question “Pourquoi ferais-je une chose pareille ?” en quatrième de couverture de votre magazine ? Est-ce un hommage à Trainspotting, le film de Danny Boyle ?
C’est un hommage et aussi une nostalgie à l’époque où l’idée de créer ce magazine germait dans mon esprit. La question était de me dire : « En quoi moi ,Philippe, petit photographe inconnu et perdu dans l’océan du monde, aurais-je la prétention de réaliser un magazine photo ? Pourquoi ferais-je une chose pareille ? »
Je me devais de bien réfléchir à ce que je voulais. A cette époque, je commençais à être gavé des magazines photos qui ne font que remplir leur page de matériel. Tester un objectif ou le comparer à d’autres, mettre en avant du matos, etc. Mis à part l’excellent magazine « Réponses-photos » qui place la démarche photographique au cœur de ses pages, les autres magazines ne m’ont jamais satisfait.
C’est là que la question « Pourquoi ferais-je quelque chose pareille ? » me semble essentielle. Qu’est-ce que je compte apporter réellement ? Est-ce pour recueillir de la notoriété égocentrique ? Est-ce par passion ? Est-ce pour de l’argent ? J’ai tout simplement répondu par ceci : « Je veux faire cela par curiosité et par plaisir de la découverte des démarches photographiques des photographes que je rencontre. »
Suis-tu l’actualité de la photographie en France et notamment celles de expos ? As-tu un avis sur l’interdiction aux mineurs de moins de 18 ans de l’exposition Larry Clark ?
C’est un sujet très intéressant qui illustre bien ma pensée actuelle face à la société et au monde de la photographie. C’est un problème sociétal et une question d’éducation. La question à se poser est celle-ci : « Est-ce que moi j’accepterais qu’un instituteur d’élèves de 12 ans aille voir cette exposition avec sa classe au nom de la découverte photographique ? »
Il est clair qu’il n’y a pas vraiment de différence entre un adolescent de 17 ans et 18 ans mais est-ce que les enfants doivent voir ce genre de photos ? EEst-ce de la censure d’empêcher des enfants de voir des images de gens s’envoyer en l’air, de jeunes nus ou d’adolescents se piquant à l’héroïne ?
La nudité n’est pas sale et de très bons photographes ont exprimé de par leurs images une réelle beauté dans les corps et leur agencement. Maintenant, cette polémique illustre bien la conception que la photographie veut prendre. Cette discussion est intéressante et pose des questions judicieuses.
Est-il judicieux de montrer aux yeux de tous des mineurs s’envoyant en l’air ou se droguant ? Est-ce parce que je suis un photographe reconnu que je peux tout faire et tout montrer ? Et si je mets sur mon site des jeunes filles de 16 ans nues et se piquant à l’héroïne, serai-je reconnu comme un pédophile ou comme un grand photographe par mes pairs, alors que je ne suis pas un grand nom de la photo ?
Quels sont les artistes que tu rêverais de mettre en avant dans Focale Alternative ?
Deux noms me viennent à l’esprit sans hésitation : Diane Arbus et David Chim Seymour. La première représente vraiment ce qui a confirmé ma passion de la photographie. Sa manière d’agencer les scènes de vie et les regards me passionnent au plus haut point. C’est en observant son travail que j’ai fait le pas de revendre mon canon 7d et ses objectifs pros pour me lancer dans l’argentique.
Le second est une découverte photographique. David Seymour expose à Bruxelles en ce moment. L’Agence Magnum Photos propose justement une rétrospective de son travail. Cela faisait longtemps que je n’avais pas ressenti autant d’émotion en regardant de simples photographies. Cette émotion est née du fait que ses photographies font partie d’un tout, d’une série qui existe parce qu’elle est confrontée aux autres photographies de son œuvre.
Cela réconforte ma pensée sur la démarche photographique. Une photographie solitaire n’a pas de sens. Elle est jolie sans plus. Tu prends cette même photographie et tu l’agences dans une série de dix photographies qui se parlent entre elles. Cela change vraiment tout. L’émotion positive et négative va naître très certainement grâce à cette confrontation.
Sais-tu déjà de quoi sera fait le sommaire du prochain numéro du magazine ?
Oui, mais cela est une surprise !
Tu es aussi photographe. Exposes-tu tes photos ?
J’aime la photographie. Il m’arrive de présenter quelques photos quand je suis invité à des évènements mais je n’ai pas la prétention de dire que j’expose mon travail. J’ai encore trop de choses à apprendre pour prétendre à une quelconque renommée.
Le site de la revue.